dimanche 27 décembre 2020

Voisins.

 Un jour j'ai eu un voisin vraiment sympa.

Pas comme ce fondateur d'entreprise qui sur le terrain voisin, à Lima (d'assez grands terrains un peu à l'écart de la ville), faisait pousser une vraie forêt ( sans doute pour se sentir protégé . . . ), auquel j'avais eu le tort de recommander pour son voyage à Paris, un petit et charmant hôtel de l'île de la Cité où il avait eu tellement de mal à ranger ses abattis et ceux de son épouse, habitués qu'ils étaient aux normes et dimensions des lits king size et salles de bains américaines (en Amérique du Nord ou du Sud tout est si grand que les lieux de vie de l'Europe semblent en effet minuscules) et qui s'était avéré au bout d'une assez longue fréquentation, encore traumatisé par son apprentissage calamiteux du français dans sa jeunesse et encore plein de rancœur pour notre langue et nos mœurs. Nous n'avions réussi à nous réconcilier qu'en jouant (très rarement) au fronton (un jeu issu de la pelote basque se jouant avec des raquettes et très répandu au Pérou) car il y en avait un sur le parking devant la maison où j'habitais alors. C'est là qu'il m'avoua que son hostilité partielle et en partie larvée remontait au temps où le premier propriétaire de la maison que je louais avait fait ouvrir à la dérobée une porte dans son grillage pour aller chercher chez lui les balles perdues . . . J'avoue que les gens qui des années après, en d'autres temps et avec d'autres personnes, reportent sur vous des colères emmagasinées lors de circonstances qui n'ont rien à voir avec vous, m'insupportent au plus au point bien que . . . si on y réfléchit un peu, ce doit être le cas de chacun de nous !

Mon voisin sympa, c'était tout autre chose, dans mon actuel quartier, c'était non pas un petit ou grand bourgeois mais un faux rachalan (voir ce mot). Rien à voir avec le vrai rachalan typique de l'histoire de la garrigue nîmoise et alentours. Il n'était ni ouvrier agricole, ni ouvrier tout court, ni propriétaire de son maset, ni originaire de la région, ni pour autant SDF squatteur, non, plutôt opportuniste itinérant, mais il avait adopté tous les stéréotypes du lieu et en particulier ce goût bien reboussier (voir ce mot) , cette manie des gens pas très riches de prendre à rebours tous les tics et modes de la modernité esthétique en cours et de se rabattre avec fierté sur des traditions populaires locales et archaïques. Il avait peint sur son portail, rafistolé et automatisé quand même par lui, quelques marques festives des manades environnantes ce qui donnait la couleur avant de pénétrer dans son domaine; il avait au lieu d'un gazon ou d'un gravier blanc comme le font aujourd'hui les nîmois américanisés, ou à la rigueur un terrain de boules (comme moi il n'aimait pas les boules et jugeait que ça faisait "bourgeois qui singe le peuple" comme Giscard jouant de l'accordéon), . . . il avait donc creusé des bassins communicants où prenaient le soleil et se cachaient sous l'ombre de grosses pierres, des carpes goulues aux nageoires transparentes et colorées du plus bel effet; il avait surtout construit en ferraille récupérée et repeinte des volières où criaillaient toutes sortes de perruches multicolores et à toupet et aussi un portique triomphal sous lequel il fallait passer pour aller sur sa terrasse carrelée où on était accueilli par une véranda géante augmentant considérablement le volume du salon où trônaient disposées en trophée et assujetties à leur support sur fond noir, au-dessus de la porte menant aux chambres, deux paires de cornes de jeunes taureaux.

Il s'activait sans cesse dans son jardin où il avait d'ailleurs installé sous un long appentis, toutes sortes d'outils et de machines pour travailler le ciment, le verre, le fer, le bois ou la pierre, imaginant et réalisant sans arrêt des serres, des réservoirs d'eau de pluie, de nouvelles plantations de légumes, des barrières contre les sangliers dévastateurs nocturnes de ses réalisations.

Nous avions rapidement sympathisé un jour où je m'apprêtais à l'engueuler, j'avais exprès sonné à sa porte, pour le bruit qu'il faisait avec sa radio non stop et qui troublait grandement mon calme par dessus le jacassement de ses perruches. Il avait commencé à me raconter ses pérégrinations en Europe quand il était camionneur et ses navigations en péniche sur les canaux de France, Belgique et Allemagne. Je lui avais à mon tour raconté mon assez errante vie et de fil en aiguille, moi intello-maladroit découvrant tardivement les joies du bricolage jardinage, maçonnage, bûcheronnage, lui me faisant part et m'aidant dans mes propres travaux avec sa force d'Hercule et son savoir faire tout terrain de chef de chantier chez un grand constructeur de routes, ponts et parkings, le tout assaisonné de critiques acerbes et reconstructions du monde tel qu'il va, entremêlé d'anecdotes pittoresques ou scandaleuses, bref nous étions devenus copains.

Le malheur a voulu qu'il se fâche à jamais avec sa compagne locale et qu'un beau jour il disparaisse, reprenant la péniche qu'il avait laissée, un peu envahie de ragondins, au pied des remparts d'Aigues-Mortes.


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