vendredi 4 août 2023

A de après/avant.

 Qu'est-ce qui, au fil du temps, a le plus changé radicalement dans nos rapports aux gens, aux objets, au monde qui nous entoure ?  Question d'ordre général qui semble renvoyer, au premier chef, avant l'aspect purement sociologique, à l'invention, à l'histoire, à l'usage des techniques récentes, question devenue le pain de chaque jour, le leitmotive du commentaire journalistique moralisant en recherche de consensus populaire et anti-moderne qui reçoit pourtant en chacun de nous - hors vision collective diluée dans la banalité - des réponses uniques, originales, bien différentes sinon contradictoires (voir le grand flot de discours généralement dévalorisants sur le selfie . . . et en définitive, son usage d'appropriation arbitraire et singulière même quand il s'agit de mimer les stars ou de singer les fameux). Car, émis massivement, collectivement et néanmoins reçus dans chaque sensibilité individuelle,  ces bouleversements dus à l'usage des machines n'ont pas pu ne pas bouleverser aussi, et peut-être en profondeur, selon la façon dont chacun s'empare ou pas de ces nouvelles ressources matérielles, de notre façon d'être, de vivre l'humain. Le fond de notre perception de l'idée que nous avons de nous-même et de tout ce qui nous entoure, notre ou précisément nos visions du monde, pour reprendre cette vieille expression totalisante, n'ont pu qu'en être changées. 

Au-delà des poncifs, il y faudrait, pour en rendre compte, un récit circonstancié de chacun d'entre nous.

Ainsi je me souviens que revenant de Kinshasa où j'avais déjà passé plusieurs mois, presque une année complète après avoir déjà vécu au Brésil puis au Sénégal, j'avais été fasciné, à Nîmes comme ailleurs chez nous, par les premiers distributeurs de billets. Longtemps plongé dans le bain de sociétés violemment inégalitaires, de domination, de misère, de pénurie où toute exposition de richesse prenait la forme d'une provocation, où tout étalage de billets ou de bijoux ou d'objets de valeur risquait de provoquer vol, agression, extorsion, plus encore au Congo devenu Zaïre que dans ces pays où j'avais déjà vécu, j'étais choqué par ces machines qui me donnaient l'impression de faire couler de l'argent liquide dans la rue sans aucune protection. Encore aujourd'hui, j'ai cette impression de vivre dans une société naïvement ou crânement impudique, tellement obsédée par l'argent qu'elle en montre de façon décomplexée les rouages moteurs.

Je me souviens des premiers téléphones cellulaires que possédaient Américains et Canadiens à Lima quand reliés par nécessité à l'ambassade de France, en époques de troubles subversifs ou de séisme, nous devions charrier en permanence, en tant que responsables de secteurs, de gros talkie walkie très incommodes par leur volume, leur poids, leur grésillement et surtout par le fait qu'ils restèrent assez longtemps branchés sur la même longueur d'onde qu'une entreprise de construction qui n'arrêtait pas d'envoyer des communiqués techniques, des ordres, des annonces de matériaux, à ses chefs de chantiers répartis dans la ville.

Cette omniprésence actuelle des téléphones portables / je me souviens là encore des premiers baigneurs parlant avec les premiers modèles de ces auxiliaires de toute communication, les pieds dans les vagues de la mer, sur une plage aux Caraïbes, juste avant la première guerre du Golfe au Proche-Orient / me donne cette impression que nous sommes tous perpétuellement faussement décontractés, en attente d'une catastrophe.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire