mercredi 9 août 2023

Nom inconnu, visage inconnu.

 Il y avait, d'après un certain GPS chargé sur mes écrans, trois chemins pour y (ici apparaissait le nom, nom à peine déformé par ma vue, ma lecture trop rapide, lapsus lectionis, d'un vrai village qui existe vraiment . . . comme existe la photo d'identité nécessaire à cette opération ° ° ° )  aller et seulement quelques kilomètres. J'ai pris le plus rapide. Presque en ligne directe avec parfois quatre voies puis une petite bifurcation à droite et un trois quart de tour de cercle à gauche sur un rond point tout simple, pas de quoi avoir le tournis, sans ornements ce qui est de plus en plus rare, puis tout droit dans le piedmont, traversée de deux villages absolument paisibles et même vides par ces temps caniculaires. Sauf un marcheur sac au dos qui m'a regardé droit dans les yeux en passant, il arrivait juste en face, et une moto tricycle ou plutôt un scooter à trois roues (vous savez ces trucs bizarres qui semblent gâcher le plaisir acrobatique en forme de roulette russe du truc : se glisser dans un espace super étroit de route accidentée ou prendre un tournant quasi couché sur le côté à la vitesse appropriée, mais je ne suis pas François Darnaudet (le nom d'un romancier virtuose de ma connaissance) pour expliquer assez bien et même très très bien tout ça et je ne fais que dire des impressions extérieures) qui m'avait rejoint pour s'arrêter bientôt derrière moi en klaxonnant devant une fabrique de poutres métalliques . . . et on y était.

Ce village que je n'avais jamais traversé (son nom ne vous dirait rien bien que très pittoresque et facilement jouable en calembours) , il est au bord des axes de circulation de telle sorte qu'on l'évite en montant dans les Cévennes, je n'y entrais que pour renouveler ma . . . ce que notre administration s'autorise à appeler CIN. Entendez  : ma Carte d'Identité Nationale arrivée depuis trop longtemps à expiration. Autant dire que n'ayant plus aucune existence juridique et . . . que j'avais eu bien du courage et encore plus de négligence et un peu beaucoup de culot en continuant à rouler ma bosse à droite et à gauche. Et même de l'audace à traverser récemment encore une frontière avec ma vieille carte où la photo déjà, prise au photomaton, me donnait l'air d'un vieillard revêche, ça devenait urgent de me mettre en règle . . .). 

Or vu l'attente à Nîmes pour obtenir passeport ou CIN, comme partout ailleurs (je dis ça pour ceux qui me lisent aux Etats Unis, ou en Inde et peut-être ne connaissent pas nos désastres locaux de planification. Que ce soit pour le nombre limité de médecins formés dans nos facultés ou comme ici pour la capacité de notre administration à faire face à et à absorber l'augmentation de la population en même temps que celle de son niveau de vie . . . soit, plus de soins, plus de voyages, plus de passeports et de titre d'identité, etc . . . et moins de places dans les amphis et moins de fonctionnaires pour vérifier, organiser, mettre en musique. . . j'avais suivi le programme de ((encore un mot inclassable)) . . . . . déterritorialisation mis en place par nos génies de l'improvisation tardive pour pallier les résultats déplorables de cette gestion imprévoyante. . . .  je m'étais résolu à aller là où on voulait bien accueillir ma demande, mais pas trop loin de mon havre de paix au Mas Dingue où je cueille actuellement figues violettes et énormes grappes de raisin doré. 

 Je vous avertis, . . . gaffe . . .

. . . . ça va faire pendant négatif à l'autre bout de mes petits morceaux de mémoire au jour le jour, face à celui que vous avez vu hier ou avant-hier, ça va faire réponse en écho à cette lumière de ma jeunesse à Dakar, sur le balcon suspendu de l'ambassade, ô mes saint patrons,mes saint génies . . . . . incontestablement un des sommets de ma gloire. Là tout était un peu en berne, comme le drapeau de la mairie dont personne ne semblait s'être préoccupé en ces jours de canicule, coincé par l'action d'un souffle intermittent entre les barreaux de la barrière du balcon où il aurait dû être déployé et donc au contraire replié.

En effet, du temps s'était écoulé aux grains ou corpuscules de mon sablier intérieur depuis le Sénégal où le soit disant "faux bon climat" décrit par les coloniaux nous avait paru paradisiaque, en fait un climat tropical baignable toute l'année en eaux turquoises de l'océan et promenable, étonnant en Afrique, même en costard cravate en ville sur la place de l'Indépendance ou comme tenue obligatoire en bureau de chancellerie, à l'aise, sans suffoquer, sauf même pas deux mois par an, autant ici, retour en "métropole" tempérée, nous avions du mal à respirer. 

Parenthèse : dire qu'en Afrique, sans problème particulier, nous avions répondu longuement, dans le détail, à une enquête sur notre aptitude à supporter les très hautes températures, destinée à voir si une acclimatation se produisait au fil des mois et des différents postes occupés dans une carrière, enquête bien intentionnée peut-être, peut-on croire pareille sornette ? destinée . . . ç'aurait été à peine croyable, à moduler les nominations de fonctionnaires en fonction de leurs capteurs et thermostats naturels et incorporés . . .  mais restée évidement sans suite . . . 

Passons, je ne suis pas là pour me plaindre de l'Administration qui a toujours raison contre le péquin au contraire, en dépit de tout, il faut conter et raconter sans broncher ! 

Donc le jour était de bleu ciel avec de très petits nuages épars et un tout petit peu de vent mais seulement d'altitude qui les ramenait là-haut en files indiennes lentes comme un décor de théâtre ou de BD . . .  mais aucun air en bas au ras du sol. J'avais garé ma voiture à l'ombre au centre ville du village, sous des très grands platanes, sur une magnifique esplanade. Hélas la Mairie s'était elle-même déterritorialisée et avait élu domicile presque à l'extérieur de ce petit bourg étalé, aux grosses maisons cossues et bien tenues. Occasion de le traverser tout entier, y compris l'oued bétonné surplombé par un pont bien décoratif aux barrières métalliques travaillées et peintes en vert tendre qui permettait, avant d'arriver à la mairie, décidément excentrée, de rejoindre d'abord une petite poste pimpante et fermée à cette heure là. 

Faut dire le soleil tapait. Pas un chat ni un chien, pas un tracteur dans les rues, j'étais seul à les arpenter, un peu suffoqué, un peu vouté, le contraire de mon air triomphant à Dakar avec mon costume gris et ma cravate écarlate. Je me sentais presque comme dans un de ces très mauvais films où après une séquence calme et monotone, le héro se retrouve, on le sens dans l'air et si on n'a pas encore compris la musique est là violente et vibrante, menacé par je ne sais quoi, un ouragan (film catastrophe), un écrasement de camion (thriller machiavélique), un simple coup de fil qui le plonge dans le désarroi (film tragiquement pathétique), etc . . . 

Quand j'arrivai enfin dans le bureau adéquat, réfrigéré adéquatement, au-dessus de la salle des fêtes grande ouverte pour aération adéquate avant réunion, le préposé m'attendait à l'heure et disponible, exact au rendez-vous.

Il m'a dit que mon nom lui était familier, il voulait savoir s'il avait inscrit déjà sur ses registres un proche ou lointain parent, celui-là au moins avait la discrétion de ne pas me demander si j'avais des origines grecques vu les sonorités de mon nom, comme font la plupart des gens curieux, indiscrets, qui se veulent un peu savants, à propos de mon vrai nom de famille ça va sans dire, et je dus lui expliquer quand même ses origines purement occitanes (occitan par mon père, lointainement catalan par ma mère) venu d'un coin perdu de la montagne avec une tribu peu à peu descendue dans la plaine vers ces rivages grecs dont ces (celles de mon nom) sonorités pouvaient effectivement, en apparence, le rapprocher au point qu'en Grèce même il peut passer pour grec. 

Puis nous passâmes aux choses sérieuses. 

Déjà dans mon formulaire rempli sur Internet et imprimé, j'avais très volontairement omis mon dernier prénom d'Etat Civil, deux ça suffisait selon moi et je n'aimais pas ce dernier prénom, le troisième - à mon âge avancé j'aurais bien enfin profité de l'occasion pour m'en débarrasser, d'autant que c'était celui d'un oncle pas spécialement apprécié de moi. Bon, donc me voilà contraint de le rétablir. On n'en a jamais fini avec sa parentèle et son passé, encore moins sa déclaration de naissance.

Le pire étai à venir.

Quand il a fallu prendre mes empreintes. Celles des quatre doigts : index, majeur, annulaire, auriculaire.

J'ai maintenant ces doigts-là si tordus que je n'arrivais pas à les poser droit, bien à plat sur la plaque de la petite machine chargée de relever l'impression des empreintes (ce système astucieux qui remplace avantageusement l'obligation de se noircir d'encre les doigts). Alors je dois dire il a été vraiment compatissant, le préposé, je forçais au maximum pour aplatir ma mains, j'avais posé l'autre dessus pour forcer davantage et il est venu, poser et appuyer la sienne menotte plus grosse que la mienne, encore par-dessus en appuyant fort. 

Résultat sans équivoque : prise de deux empreintes sur quatre . . . que ne prend-t-on l'empreinte du pouce seul doigt épargné dans mon anatomie tourmentée, bien que parfois lui aussi pris de crampes, mais épargné par les torsions ? Bon ça allait quand même le faire (disait la centrale de la machine en retour), deux sur quatre c'était bon.

Encore personne n'avait-il fait de remarque sur la binette que m'avait, parfaitement règlementairement troussé le photomaton spécial identité, une merveille de précision, le matin même dans une galerie marchande, sans mèche sur l'œil, sans que le haut du crâne dépasse le cadre, bien au milieu, bien en face, regard direct, sans sourire, l'air inquisiteur et soupçonneux (ça ce n'était pas obligatoire, c'était ces sacrées machines que je redoutais toujours avec leurs réactions imprévisibles et spécialement à contre-temps des miennes), un œil plus ouvert que l'autre, sourcils froncés, l'un légèrement plus bas, en signe d'extrême concentration face aux petites lumières rouges et aux propos de cette machine qui maintenant se mettait à parler, à donner des conseils qui pour ma tournure n'arrangeaient rien et ne faisaient que semer un peu plus de confusion, incroyable . . . et finalement ma réaction était celle d'un combattant, moi me laisser faire et manipuler ? j'avais pris l'air d'un très vieux flibustier, d'un forban capable, s'il le fallait, après tout ce qu'il avait déjà vécu, de tous les crimes.

° ° ° Note: j'ai hésité à mettre un exemplaire de cette image iconique de moi et du village carte-postale du Gard pour éviter les reproches de lecteurs autochtones ou les procès, sait-on jamais, ainsi son nom légèrement déformé (celui du village) est-il cependant formulé dans le texte ci-dessus, à plusieurs reprises, disséminé dans le texte (ceci dit pour ceux que les énigmes boy-scout pourraient intéresser) et de mon nouveau portrait en gloire de peur d'effrayer ici mon lecteur bénévole et méritant.

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