samedi 15 janvier 2022

Yuyachkani.

Soit en quetchua :

je pense, je me souviens,

est le nom d'un groupe théâtral apparu en 1971 à Lima, à une époque où la résistance au climat de guerre civile et de désastre socio-économique en avait fait surgir une bonne dizaine d'autres plus ou moins militants. 

Yuyachkani, toujours actif aujourd'hui, est resté un groupe de réflexion politique engagé dans lequel le jeu théâtral en communauté s'inspire de mythes et traditions populaires. Il a traversé les année noires et son travail critique est loin d'être terminé.

Je me souviens lors de mon arrivée au Pérou, dans ces années d'insurrections et de répressions, de massacres en masse ou ciblés, de l'extraordinaire force de ces spectacles collectifs, dans une mise en scène dépouillée, de ces rappels historiques et crus de l'origine du mal, séquences éblouissantes, où explosait terrible, terrible de colère, de misère, de douleur, ce cri que le pouvoir aurait voulu oublier.

Qui se souvient et connait aujourd'hui ce mouvement théâtral nommé YUYACHKANI hors de certains cercles politiques et hors du Pérou ?

Pourtant, revenons aux sources.

En prolongement de son travail d'écrivain et de metteur en scène, 

Miguel Rubio, l'un des principaux fondateurs de ce courant remaniant le théâtre et le rôle qu'y joue l'acteur  depuis cinquante ans de militance artistique, à partir des analyses enracinées dans le monde d'Arguedas, l'un des plus grands et difficiles écrivains aède des cultures andines, aussi bien que dans l'oeuvre de Grotowski ou de Brecht, 

infatigable, continue à scruter, maintenant avec un visage tout cerné de blanc, barbe et cheveux courts, l'évolution de la société, la misère croissante des démunis et s'exprime sur ce travail, chez lui à Lima, ou dans les provinces reculées de son pays ou dans les grandes métropoles américaines ou européennes (récemment à Berlin ou à New-York par exemple dans L'Institut hémisphérique de performance et politique). 

Son constat actuel  (il le dit en termes modérés entremêlés de réflexions sur le rôle possible des acteurs et du théâtre pour incarner, donner à voir le réel, de sa voix douce, posée, déterminée) parle essentiellement de cette "crise de représentation" qui caractérise selon lui le monde actuel. 

Après les années terribles de massacres, plus de 50.000 morts parmi lesquels un très grand nombre de paysans, pendant l'interminable affrontement Sentier lumineux / mouvement Tupac Amaru / forces gouvernementales, après l'ère du flagorneur dictateur élu par le peuple, temps de nouveau terrible de l'escroc Fujimori, l'arrivée soudaine et mondiale du Covid aurait pu donner à voir ce qui est. 

Mais au lieu de produire un effet de conscience accrue et de solidarité internationale comme le disent et voudraient le donner à penses les instances internationales, le Covid 19, minuscule astre éclairant  multiplié, a révélé et renforce la présence écrasante des  injustices, des impuissances, des inégalités.

Car, quel peut être le sens  pour les peuples maintenus en état de pauvreté et de chômage total, voués à l'économie "informelle" (travail clandestin, commerces  non déclarés,  petits boulots pratiqués à la sauvette) des mesures plus ou moins adoptées à l'échelle planétaires, soutien des entreprises officielles,  primes pour travailleurs déclarés ? quel soutien pour ces plus faibles marginalisés  qui sont légions  dans les campagnes et tout autour des mégapoles dans les favelles en extension croissante, qui n'ont guère accès aux soins de toutes façons impossibles à pratiquer dans l'état où sont les centres hospitaliers étatiques, quel impact peuvent avoir les décrets de confinement inapplicables dans les logements exigus et surpeuplés, quelle absurdité représente même l'impératif de désinfection des mains pour des citoyens n'ayant pas accès à l'eau ?

Je me souviens de ce repas que nous avions pris ensemble dans un petit restaurant du centre ville bourgeois de Miraflores, où il y a maintenant plus de trente ans je l'avais invité pour avoir le temps de parler un peu, après avoir déjà évoqué certains de ces problèmes et envisagé une invitation d'une partie de sa troupe collective en France ou dans mon prochain poste, ce qui n'eut pas lieu, nous avions terminé, tombant d'accord sans ambages, par un gateau meringué garni de compote de chirimoya, un fruit délicieux particulièrement bien utilisé à Lima dans la patisserie traditionnelle, faute d'actes momentanément plus constructifs.

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