lundi 24 janvier 2022

C de calamités prévisibles ou pas.

Calamités, ruptures du rythme et déconvenues, le quotidien en est tissé. Autant s'y préparer. On nous en promet quelques unes. De plus, elles sont souvent imprévisibles.

En ce qui me concerne, autant dire et pourrait-on croire à première vue que je les ai cherchées, allant dans les pays où j'allais. 

Qu'on ne me prenne pas pour autant pour une sorte de chercheur de typhons, de tempêtes ou de cyclones.

(D'autant que n'étant pas fils d'archevêque, malgré mon irréprochable tableau d'honneur, j'avais tendance, sachant qu'il n'y aurait pas d'autre offre, telle est la dure loi, à prendre ce qu'on me proposait comme lieu de parachutage.)

Pas vraiment, non, pas vraiment storm hunter,

j'ai cherché plutôt à éviter l'ennui répétitif de nos pays supposés tempérés et policés, tout en passant entre les gouttes brûlantes, explosives et les bourrasques les plus cinglantes, rudes et glacées du temps, curieux d'expérimenter cette liberté qu'on pouvait peut-être trouver dans ces foutus pays-volcans, pays non éteints, déployant des énergies et des  audaces perdues sur la croute de notre vieille Europe cacochyme et repliée sur les plaies à peine sèches de ses petits et grands malheurs.

A vrai dire quand je suis parti, accompagné de femme et enfant, au Brésil pour un poste à Rio j'ai peut-être fait des envieux mais on ( on : ma grande famille enracinée, mes collègues, mes amis assez nombreux dans la ville où j'étais implanté, sauf mes proches les plus proches) m'a le plus souvent demandé ce que j'allais faire dans un pays aussi incertain, chaud, insalubre, sauvage et déraisonnable en résumé, déraisonnable comme j'étais sans doute moi-même de vouloir partir alors que j'avais une "carrière" ou du moins une voie, et ma compagne aussi, toute tracée et jugée un tant soit peu (promesses ! promesses !) prometteuse dans la France profonde et somme toute privilégiée où j'aurais pu construire filière et chaumière et m'enkyster . . . ; 

mais c'était justement cette énorme et fluctuante folie qui m'attirait, hors barrières et prévisions, qui nous attirait, ma compagne et moi, une sorte de trop plein d'espoir sans doute.

Alors à ce jour, je ne sais pas où nous allons en termes de cataclysmes annoncés ou préfigurés, ni ici ni ailleurs, mais voilà, entre mille fluctuations, entre craquements annonciateurs, sans vouloir jouer les Cassandre nullement, le pire n'étant jamais sûr et les prévisions toujours à côté de la plaque tectonique, 

voici ce que nous avons déjà vécu par exemple à Lima, capitale développée, équipée de toutes sortes de services, de traditions originales, tête d'un pays démocratique, pourvue de brillantes universités, d'un peuple  multiculturel, patient et travailleur, ayant supporté déjà de terribles bouleversements, aspirant à la paix, producteur de richesses en tous genres y compris sur le plan des arts, des lettres et subtils ou surprenants divertissements. . . .

. . . et en rupture totale avec la tranquillité relative ou apparente en surface, déjà très relative avec ses coupures géantes d'électricité, ce plus ou moins lointain fond très inquiétant et inextinguible de luttes révolutionnaires nées des, reproduites depuis la conquête et aggravées, inégalités, dans la Sierra, les forêts et vallées perdues exploitées comme colonies, qui parfois se rapprochait des centres de décision finalement mal protégés, enfoncés dans le souvenir d'un Pérou riche et idyllique n'ayant jamais vraiment existé (voir Sébastien Salazar Bondy) tranquillité reposant sur le mol oreiller de l'économie anémiée par la difficulté des importations, mais subsistante en survie et sur le champ miné des énormes problèmes sociaux, structurels, architecturés, énormes à l'échelle de tout le continent mais ici exacerbés, envenimés par mille tentatives putschistes et  populistes.

Cette image de deux revues de l'époque rend  très vaguement compte, par exemple, de deux événements déstabilisateurs :


La première est l'image d'un défilé organisé dans l'espace même de leur lieu de détention et en uniforme spécial de parade, des membres de Sentier Lumineux incarcérés et supposés surveillés par une élite de gardiens, dans une prison de très haute sécurité saturée et réservée à ces captifs spéciaux accusés d'attentats et assassinats, sous le règne de Fujimori. (parenthèse : le même phénomène s'était déjà produit lors du premier règne d'Alan Garcia qui, déjà, pour bien montrer qu'il était maître de la situation et ceci pendant une réunion de l'Internationale Socialiste au Pérou où se trouvaient présents quelques éminents responsales français, avait fait ou laissé intervenir  (il niera toujours le fait d'avoir été le commanditaire de cet acte) un corps spécial de l'infanterie de marine pour assassiner, certains d'une balle dans la nuque, les mutinés).

La deuxième essaie de symboliser et manifeste en revue-objet l'une des phases de l'inflation atteignant, mais ces chiffres ne sont rien comparés aux déflagrations sociales produites chez les miséreux déjà laminés,
au point de pratiquement puis réellement démonétiser l'Inti, pièces et billets 
(ici un vrai billet signifiant bien l'abandon et le désastre de toute "économie" au sens de possible mise de côté de maigres réserves pour affronter le lendemain, est collé sur chaque couverture de ce numéro du 31 juillet 1989 passé du prix de quelques intis à la valeur plus symbolique que réelle de 5.000 Intis, dans une époque où la valeur accolée aux objets n'avait plus aucun sens) . . . 
et pour être précis :

inflation calculée au taux de 2.776 % en 1989, 
                                              7.649 % en 1990.

P.S. : Le directeur de la Banque de Lima, notre principal sponsor pour quelques activités culturelles de niveaux variés, dont un tout petit livre d'exercices de français adapté au public local, intitulé "Vitamines" et publié par nos( nos = sous l'égide des meilleurs grammairiens présents parmi nous, connaisseurs aussi des subtilité du parlé local) soins ( de quel dérisoire souci pouvait alors relever la volonté d'apprendre impeccablement le français ? . . . mais légitime désir, sinon d'expatriation, au moins d'ascension sociale, dans les classes moyennes spoliées d'avenir, principale "clientèle" demanderesse de ces cours ! ), banque alors sous la coupe de la BNP française, m'avait dit en guise d'ironique clin d'œil : -  "vous qui avez vécu l'inflation au Congo-alors-Zaïre, vous allez pouvoir nous donner quelques conseils".
En effet je lui avais raconté comment l'action culturelle mais pas seulement !  toute transaction et paiement de salaire, au Congo avait dû survivre en utilisant des billets en très petites coupure de monnaie en "Zaïres", unité monétaire nationale, d'une valeur de quelques centimes, seuls billets, les plus petits, non démonétisés, emportés dans de grosses valises, puis finalement dans des sacs de jute, en attendant l'impression de la nouvelle monnaie, toujours à l'effigie de Mobutu, pendant toute une période allant de Noël à Pâques, l'opération de démonétisation de tous les billets supérieurs à 1 Zaïre ayant été décidée dans le plus grand secret à Noël pour prendre de court les gros investisseurs dans le pays, absents pour les fêtes . . . selon le discours officiel du régime.

Post- P.S. : J'ai gardé de cette époque, autant par esprit de collection que par goût des vanités et surtout pour conforter ma réputation d'expert (critique) en économie non productive quelques liasses  démonétisées bien que quasi neuves et donc non utilisées d'Intis et de Zaïres au fond de mon armoire. Si  "L'Horreur économique" est le titre d'un livre qui finalement m'avait peu marqué et déçu c'est bien pourtant, pourtant ! une réalité bien tangible.

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