mardi 18 janvier 2022

Aventure et incompétence.

 Quand j'y pense . . . c'est avec délice.

Après tout la vie c'est peut-être ça. Qui a dit qu'une fois qu'on avait appris à vivre il était déjà trop tard ? C'est au moins encore ce malin matois de Montaigne, pour sûr.

Mais moi je dis qu'on n'apprend jamais rien et surtout pas à vivre. On reproduit, on reste coincé, on avance à cloche pied sur les cases semblables  ou qu'on croit reconnaître et on ne change que par hasard,  en quelque sorte par erreur. Et ceci n'est pas peu puisque c'est ce qu'avaient bien vu Epicure et Lucrèce. Les atomes tombent en gouttes de pluie  aux trajectoires parallèles et ne s'agrègent que par déviation fortuite, inexplicable. 

On en reviendrait à la formule de Paul Klee cité par Perec : "Le génie c'est l'erreur dans le système". Là nous parlons des phares de l'humanité.

Prenons les choses autrement, à l'envers, par le petit bout et par ce qui en résulte; pour le commun des mortels qui n'a rien inventé, n'inventera rien que sa propre, infime, absurde, inutile dans l'univers, trajectoire.

Il y a ceux qui hésitent, se rongent et regrettent et sont forcément pris et empêtrés dans le courant général et ceux qui foncent assez stupidement, yeux ouverts et cerveau bouché - sans savoir d'où ça vient, sans savoir ce que c'est, le sachant d'autant moins qu'en général ça se produit à la suite d'une erreur infime - dans leur propre direction. 

Jusqu'à un âge presque avancé, emporté par le courant, hérédité, milieu, éducation, respect des hiérarchies et des normes, je savais déjà ce que je voulais pour des choses essentielles, choix d'études, choix d'une filière, d'un métier (à dix-sept ans) et même choix d'une compagne pour la vie, passion immédiate et jamais démentie (à vingt-et-un ans ), malgré un parcours parfois chaotique, plein d'obstacles, mais en quelque sorte prédéterminé, car dés qu'il s'agissait de sortir de là, de voyager, de rencontrer de nouvelles gens, de bifurquer dans l'ordre des habitudes acquises et du milieu, plus encore de changer de métier, j'avais du mal. Je me préparais, faisais tout pour y arriver puis renonçais. 

Jai failli, ainsi, étant déjà recruté, vendre des assurances à Toulouse, j'ai été très brièvement, avant d'en être dégouté, concepteur rédacteur chez Publicis à Paris, sans parler de mes études complémentaires aux principales, prolongées très tôt au max que je pouvais atteindre tout en étant déjà marié et père,  un dit 'institut de préparation aux affaires', au sein de la Fac, au cas où j'aurais trouvé l'occasion de changer de voie, puis études statistiques, puis cursus de droit à Montpellier plus tard et même avant psychanalyse et théâtre en même temps que mon premier poste à l'étranger, toujours en restant enseignant  . . . puis . . . mais . . .  d'un coup, la chance, le hasard, après 68, date fatidique  d'un semblant de révolution, d'engagement social et politique . . . .  légère déviation et finalement conversion complète,  . . . 

. . . comme j'avais postulé pour être détaché à l'étranger on m'a proposé successivement de partir au Viêt-Nam, au Tchad, pour créer une section lettres françaises contemporaines, puis ensuite à Dakar comme attaché cultuel, nom mystérieux d'une fonction hybride mal définie où il faut faire n'importe quoi qui n'a absolument rien à voir avec l'enseignement et qui est un pur détournement traditionnel des "détachés" qui ont résisté au choc de la transplantation. 

. . . . peu de temps après . . . .

Le ministre de la Culture du Sénégal avait fini par trouver que j'avais un nom (ceci à partir de mon vrai nom qui a des consonances grecques) donc bel et bien un nom (dans ces nouvelles circonstances) aux syllabes et voyelles africaines;

évidemment j'avais été jusqu'à organiser pour lui, en son nom, c'était un personnage épatant, chaleureux, plein d'humour, des concours et des spectacles dépendant de son ministère dans plusieurs villes du pays car ses adjoints nationaux n'avaient ni la volonté ni les moyens de le faire, en effet il fallait téléphoner et se déplacer sans arrêt 

et j'avais même réussi à convaincre la douane du port de Dakar, après maintes négociations, amicales menaces et promesses, palabres sans fin, de laisser rentrer du matériel et des véhicules devant être exploités dans la toute jeune SNCS, société nationale de cinéma du Sénégal, la douane du Sénégal étant la plus tatillonne et  retorse d'Afrique à ce moment-là, . . .  d'ailleurs c'est simple j'avais dû moi-même attendre plus de quatre mois avant de pouvoir en extraire ma voiture personnelle  immobilisée sur les docs, malgré mes titres diplomatiques accompagnés des droits statutaires afférant. à cette importation.

Même prof d'ailleurs, déjà, vous y prépare-t-on vraiment , . . . on vous lâche comme un torero et parfois comme un taureau sortant aveugle de l'obscur toril au milieu de l'arène, face à un jeune public avide de spectacle cruel.

[Je raconterai un autre jour comment j'avais pu - sortant des salles "dédiées" ou plus simplement en bougeant les meubles - dévier tout à fait ou ne serait-ce qu'un peu (au moins à en rendre le contenu  un peu vivant) le processus et le questionnement du cours normal des cours guidés par le parcours obligatoire et programmé jusqu'aux examens. 

Ah le saint programme intouchable  et cependant changé chaque année des examens sacrosaints !]

Alors  pour en venir à la question du hasard qui fait dévier l'atome, attaché culturel c'est quoi ? 

J'avais tout juste vu, bien sûr,  comme tout le monde, le film trépident de Christian Jacque : le Gentleman de Cocody avec Jean Marais, . . . attaché culturel particulièrement agité à Abidjan, mince préparation.

Je dirai c'est se lever tôt, recevoir dans son bureau n'importe qui, organiser, organiser, téléphoner, téléphoner, être invité à des cérémonies absurdes, voir tous les spectacles qui sortent, se taper le plus de cocktails possibles, jusqu'à quatre par jour, tout ça pour être informé, faire le quatorzième à table chez l'ambassadeur pour éviter d'être treize, demander à Paris d'imposer des décisions qui ne peuvent être prises que sur place, mais surtout ne pas donner l'impression qu'on profite de la distance pour créer une vice-royauté indépendante, préparer des discours pour ceux qui parlent au nom de la France, informer Paris, informer Paris et bien donner l'impression à l'ambassadeur qu'on suit ses préceptes, quels qu'ils soient, entachés de racisme, d'homophobie, de préjugés sur les femmes ou . . .  autres grands principes sous-jacents et inanes, puis se coucher tard.

C'est d'ailleurs là que j'ai appris à tirer un dithyrambe d'un simple petit Larousse (Internet n'existant  pas encore il fallait aller très vite au plus "classique" dispensé par la semeuse), à faire la sieste pour  compenser la fatigue et la tension et résister et à écouter un peu, hors des tréteaux officiels, les voix de ceux qui ne pensaient  pas du tout comme nous et souvent dans des langues différentes.

Autrement dit, comme me l'avaient annoncé mes chers élèves et étudiants de Rio 

qui étaient venus à la petite maison de Urca, sous le Pin de Sucre, me souhaiter un bon départ précipité (j'avais failli, à force d'attente de mon billet et de ma nomination officielle, par désynchronisation des services officiels, rater le poste) le jour même de mon déménagement, selon le dit et fameux Principe de Peter,  le livre venait de sortir dans toutes les langues, 

j'allais devoir aller au bout de mon impréparation et plus gravement peut-être, moi qui ai toujours détesté l'administration, les budgets au centime près, la gestion recommandée et normée des ressources humaines, l'inauguration des chrysanthèmes, les ronds de jambe et de flanc,  de mon incompétence.

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