mardi 20 décembre 2022

Rideau rouge (le).

 Il a flotté quelques temps place St Sernin à Toulouse, face à l'énorme  basilique, tout en haut de cette haute maison de briques derrière une petite fenêtre devant laquelle, après avoir habité un temps de l'autre côté de la Garonne, ce qui m'obligeait à courir sur le Pont neuf bicolore tout rouge et blanc pour ne pas arriver trop tard à la Fac de droits et de lettres, je restais ébahi d'avoir pour un prix modique de chambre de bonne, cette vue sur l'élégante tour octogonale et j'étais, c'était incroyable, si proche de la rue des Lois où avaient encore pignon sur rue la plupart des disciplines littéraires et sciences humaines, que ça me permettait, après m'être couché très tard, de me lever très tard encore et d'arriver encore en retard mais tranquillement. Même pour un exposé sur l'origine du féminisme que j'avais choisi en sociologie et que j'avais organisé en me servant presque exclusivement d'Olympe de Gouges née à Montauban, courtisane et militante des droits humains qui combattit autant contre l'esclavage que pour l'égalité des femmes et qui affirmait face à Robespierre ou Marat " Le sang même des coupables, versé avec cruauté et profusion, souille éternellement les révolutions"  peu avant de verser le sien sur l'échafaud.

Ce rideau permettait à mes copains/pines de savoir si j'étais éveillé ou pas, selon qu'il était tiré ou pas, et de monter éventuellement me voir après ou avant les cours, ou pas. Il y avait toujours quelque chose à boire dans ma thurne, au moins du jus de pomme dont je buvais des litres.

Il est vrai que j'étais plus noctambule que diurne en ces temps-là, de réunions en cinémas, de manifestations en déambulations et autres "dérives" où nous n'en finissions pas de débattre et discuter nos projets d'avenir et ceux que nous prêtions au monde à naître, nous n'en doutions pas. Quand j'étais absent de mon dernier étage, je n'étais pas forcément en train d'écouter une conférence ou un cours ni studieusement en train de me chauffer à la bibliothèque universitaire toute proche. Après les classes prépas, les quelques cours suivis en Fac me paraissaient bien fades. Les profs y répétaient avec de moins en moins de conviction ce qu'ils avaient cru trouver dans leurs recherches d'antan déjà consignées dans leur thèse qu'il suffisait d'aller un peu feuilleter et qui avaient été souvent commentées ou, sortant de là, se bornaient timidement didactiques à quelques tableaux d'ensembles qu'on trouvait presque aussi détaillés ou identiques dans de vieux ouvrages généraux chez les bouquinistes.

J'avais donc organisé une vie libre et parallèle à celle qu'aurait dû me dicter mes devoirs d'étudiant appliqué. Une année entière de psychologie à étudier les mœurs de l'épinoche, un poisson moche et peu passionnant, qu'on me comprenne, face aux richesses de la vraie vie humaine que je commençais à peine à découvrir au sortir d'années de bûchage et d'internat, ça ne pouvait pas résister longtemps.

Ainsi, déjà sans sortir de ma chambre où ne trônaient ni cours polycopiés, ni fières étagères de livres universitaires au programme, on pouvait se faire une idée de mon émancipation des milieux scolaires et universitaires.

Ma chambre était entièrement recouverte sur tous ses murs d'images du monde arrachées à des revues, hommes politiques vociférant, troupes en mouvement, manifestations de rue, images de grèves, peintures rupestres, fresques, destructions au bull de banlieues pourries, ce qui créait alors qu'elle n'était éclairée que par une sorte d'assez petite lucarne, celle du rideau rouge, une impression de caverne qui pouvait en effrayer certains mais pas ma voisine qui rapidement est devenue, alors qu'ayant des horaires totalement différents et jusque là plus sages, elle ne m'avait jamais vu apparaître, le jour où un peu par hasard, elle est entré pour me demander un service, pour devenir à jamais la dulcinée du Don Quichotte que j'étais. 


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