samedi 24 décembre 2022

Deux Chevaux (3e épisode).

 Promis, après c'est fini sans doute, plus d'histoire de Deuch.

En effet, il ya longtemps que je ne conduis pas de trépidante, pétaradante, dansante sur ses amortisseurs en balancelle, 2 CV tous les jours ni même en week end et je ne compte pas m'y remettre de si tôt, a priori.

Cette fois-là, donc . . . c'était, sans doute, la dernière. 

C'est une histoire vraie mais un peu compliquée, une histoire d'époque. 

C'était avec et pour une amie provisoirement et non officiellement recrutée comme traductrice à l'UNESCO, une Argentine réfugiée à Paris en cette époque de Colonels à la grecque ou à la brésilienne ou, plus tardivement, à la chilienne, une époque longue en Sudamérique, où on jetait encore les opposants au large dans l'océan du haut des avions militaires après les avoir torturés et où des forces spéciales agissant à l'étranger au travers des ambassades, pouvaient encore poursuivre ceux qui avaient réussi à fuir. 

(Parenthèse, je sais bien que ces pratiques qui ont fait le tour du monde ne sont pas révolues.)

Elle devait traduire un article que j'avais écrit et devait le remettre en mains propres à un des responsables de la publication dans laquelle il devait paraître. Mais dans une vie mouvementée, pour elle surtout, enfuie de son pays mais y ayant laissé amis et proches, tout cela avait pris du retard et il fallait porter le texte en Normandie pour le remettre à ce directeur de rédaction qui y passait quelques jours de congés dans sa chaumière. 

De mon côté, je ne voulais pas aller là-bas, après tout ce n'était pas essentiel, personne n'allait en souffrir si cet article ne sortait jamais, et j'avais un emploi du temps à Paris déjà surchargé pour d'autres taches qui allaient être négligées. Je continuais à résister mais, finalement, avec son insistance de femme habituée à tout arracher en combat contre la fatalité, elle me força la main. Elle voulant à tout prix que je conduise "sa" 2 CV qui stationnait illégalement à Paris au bout d'une impasse peu fréquentée, avec la plaque étrangère du propriétaire auquel elle l'avait empruntée pour quelques jours pendant qu'il était en mission ailleurs. Rendue prudente par sa vie de militante recherchée, je crois qu'elle voulait surtout sortir de la capitale incognito et ne pas risquer d'être, accident ou hasard, repérée au volant d'une voiture ne lui appartenant pas, ce qui l'aurait en premier lieu signalée à son ambassade. 

Tout ça ne serait guère envisageable aujourd'hui . . . mais dans ces années-là ça avait marché. La voiture était toujours là, pas à la fourrière, sans un PV sur le pare-brise; peut-être en partie grâce à la protection de cette plaque d'immatriculation compliquant et filtrant l'application des mesures pourtant  radicales de la police de la capitale.

Donc, nous partîmes et rencontrâmes des gens très sympas et leur apportâmes et ouvrîmes pour eux les huitres que nous avions trouvées directement chez un producteur, dans un petit port côtier juste avant d'arriver chez eux, en repas convivial.

Mais juste avant le retour déjà un peu retardé par le plaisir que nous avions eu à prolonger le fait d'être ensemble, retour prévu avant le week end pour éviter les embouteillages, nous tombons en panne, garagiste, nouveau retard, et nous voilà emportés comme tout le monde, moteur remis en route, révision rapide faite, vers un retour à Paris en cette fin de week end suivi de jour férié, dans un des flots de véhicules dont les voies d'accès à la capitale ont sinon le monopole du moins le charme récurrent, flot tellement chargé, que l'engorgement des routes et tronçons d'autoroutes nous avait finalement bloqués, et tout le monde s'était arrêté au bord de la route et nous commencions à parler entre inconnus à raconter des bribes de nos vies disparates et même à nous faire gouter les sandwiches, les boissons et les encas que nous avions emportés. Il y avait je m'en souviens encore quelqu'un qui avait du pain de miche et un saucisson sec à point et savoureux comme on serait bien en peine d'en trouver un aujourd'hui.

Elle me dit, et je la crus sur parole car elle fréquentait de temps à autre avec d'autres exilés le même bistrot que lui dans le quartier de la Bastille, ce qui serait sans doute aujourd'hui encore plus inimaginable que de garer, gratuitement et illégalement à un endroit interdit, sa voiture à Paris : 

- Tu as lu, il nous l'a racontée avant de l'écrire ou après je ne sais plus (et non je crois que je n'avais pas encore lu ou fini de lire le recueil "Tous les Feux, le Feu") cette nouvelle de Cortázar où il raconte un embouteillage monstre sur autoroute qui brise la solitude et le quotidien de chacun dans sa petite auto, mais juste un temps hors du temps.

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