jeudi 15 décembre 2022

Rien de rien.

 Faire une histoire de riens de rien.

J'avais d'abord fait une histoire de rien du tout qui se passait à Rio que m'ont refusée quelques éditeurs, certains ont cru, je ne sais pourquoi, enfin si, je sais, en lisant très vite, mais vraiment très vite, que c'était en Amérique du Nord . . . elle était faite de fragments et ceux qui l'avaient lue un peu en feuilletant ont cru que je mimais sans en comprendre vraiment l'intérêt, les cut-up de Burroughs du fait que quelques phrases s'arrêtaient en route, reprenant ou pas plus loin. Alors que je voulais seulement plaquer vite des impressions en un texte limite entre poème, critique style situationniste, récit de découverte face à ce Nouveau Monde qui m'a tellement ouvert les yeux, ébloui, en arrivant dans la baie de Guanabara.

Ensuite, j'ai voulu plus tard, après un épisode long de vie de gestion administrative et d'application de politique culturelle, de découverte du monde impitoyable des crocodiles politiques et encore et toujours féodal et de droit divin des ambassades, absolument sortir du poème pour lequel j'avais quelques penchants et peut-être de facilités, oui c'est ça, j'avais trouvé un style où les mots prenaient dans un chant une forme sonore matérielle, comme de dures structures métalliques dressées d'après un critique, en écrivant ce qui n'avait plus rien à voir, une parodie romanesque. Parodie de roman policier, politique, d'amour fou et de conspiration . . . Ca aurait pu s'appeler Beauté fractale. C'était beaucoup demander à un seul homme, d'autant que mes mises en boîte des grands ou moins grands de ce monde encore vivants, reconnaissables et agissants, dés qu'elles apparaissaient au tournant d'une page, bloquaient manifestement la lecture d'éditeurs enthousiastes à la première approche, mais peu soucieux de collectionner les procès pour que très hypothétiquement . . .  on reconnaisse enfin le talent outrancier d'un inconnu sans soutien logistique et sans doute un peu dingue à tout prendre.

Donc, voilà : échecs, échecs, Echec et Mat.

D'autres se seraient lassés.

Je suis un obstiné. Ce que j'ai réussi souvent dans des circonstances hostiles, je l'ai toujours obtenu malgré mes airs doucereux, en fonçant tête baissée. En revanche j'ai aussi parfois avec cette méthode commis de grands ratages dont j'ai du mal à me remettre.  Ainsi par exemple, au cours de cette trajectoire, ma bonne conscience tiers-mondiste en a pris un sacré coup frontal et mon amour de l'humanité aussi, du coup.

Mais donc, je vais passer un peu du temps qui me reste à raconter tout ça, tous ces riens de rien sans importance qui s'accumulent pour faire comme les écailles d'un lézard, ces peaux séchées qu'on trouve parfois, au scintillement déjà éteint, avec leurs griffes enchevêtrées dans l'herbe des jardins.

Continuer à raconter des balivernes par morceaux brisés.

De telle sorte que ceux qui le souhaitent retrouvent, par fragments ténus, écaille par écaille, lambeaux de peau par lambeaux de peau, une vie déjà déroulée, rapportée en tablettes d'un autre siècle, en plaques de glaise séchée et gravée à partir de modèles anciens, très anciens, le puissent. Pourquoi ? C'est la question la plus difficile.

Une simple vie taillée en zig-zags et finalement peu édifiante, une vie d'adaptations et de tentatives, de rêves, d'ambitions, d'étonnements et de maladresses comme il y en a tant. Mais une vie de constantes d communication et curiosité. Une vie de l'attention soutenue, de l'œil et de l'éveil amateur du silence une vie constante de décisions immédiates moi qui suis parfois si indifférent et lymphatique.

Parce que peut-être parler est la seule chose qui nous unit. Seuls les oiseaux parlent autant que nous mais leurs besoins semblent plus immédiats. Que dis-je ? Rien ne le prouve. En tout cas ils se donnent beaucoup de mal pour ça. Leur chant (attendre encore un printemps en cette période sombre de ciel et d'événements) est bien au-delà des nos pauvres mots.

Et arriver à parler comme ça : sans aucune contrainte ni raison ni nécessité. Pas seulement fonction phatique. Logorrhée. Epanchement. Mais en pièces détachées, qu'on peut mettre ensemble à volonté. Patient Meccano. Limitées à des tronçons, des strophes courtes. Des pièces rapportées d'un ensemble qui  n'arrive jamais à se terminer. A des histoires découpées, parcellaires. A des cris, des complaintes, des épisodes, de petites interventions, des remarques, des bribes, ou parfois de terribles constats. Ici aucune envolée, aucun mouvement romanesque, bouffée de passé, résurgences, ressenti du jour, multitude des notations, rééditer sans arrêt tant que c'est du domaine du possible, multiplier le fait de reraconter, les facettes déclinées, disjointes, distantes, chaque histoire est un commencement, les incipit.


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