mardi 13 décembre 2022

I d'Improviser. Je dis habituellement "Jeito".

Parmi les plus folles maisons que j'ai du louer loin de ma terre natale, une des plus folles : la deuxième que j'ai dû occuper à Kinshasa. D'autant que le contexte de fausse prospérité nouvelle, de post-guerre, de misère, de forces populaires écrasées (le mieux à faire était de faire sortir du pays quelques opposants particulièrement menacés).

Six mois environs avant mon départ du poste, donc en extrême fin de mission, le propriétaire belge - il restait à côté des nouvelles familles au pouvoir dans l'entourage présidentiel pas mal de "patrons" coloniaux dans le pays provisoirement dénommé Zaire - se met en tête de récupérer pour lui la maison que nous habitions et qui était de taille parfaite et totalement meublée, d'autant plus que louée depuis longtemps par des Français de l'ambassade, nous n'avions pas eu à nous battre pour la chercher, l'aménager relativement bien comme elle était et surtout pour l'obtenir et pour y collectionner des plantes rares, un vrai jardin botanique. Les oiseaux mouches venaient y picorer les fleurs de frangipaniers et nous y avions beaucoup de tranquillité avec une vue assez dominante.


A ce moment là de l'année, j'étais seul. Au plus fort de l'été, avec une mission française réduite, je n'avais pas le temps de chercher un logement. Presque tous les expatriés étaient repartis pour un temps de vacances, frais de voyages importants à l'époque d'avant low coast, et donc voyage payé tous les deux ans au moins, en Europe, y compris ma compagne. Or à ce moment de l'année, chaleur caniculaire, orages inondant les routes et crevant les toits, peu de logements sont disponibles et habitables. La ville après la guerre civile avait été à peine restaurée et chaque année au moment où fleurissent les flamboyants, le pays vit toujours mais les affaires s'engourdissent.

J'avertis donc mon réseau d'amis sur place qui comme locaux ou étrangers établis de longue date, connaissent tout le monde et mets en prospection deux agents immobiliers free lance assez malins, parcourant la ville à pied et en bus ou taxi-brousse, hommes d'affaire à la débrouille qu'on appelait là-bas des "rabatteurs". 

Rien. Aucune maison à l'horizon à louer selon mes critères. Que des ruines vides, dévastées par l'huidité.

Puis un beau jour, juste avant de devoir vider les lieux de ce nid où nous avions un peu de tranquillité dans ce pays encore agité, un très bon ami belge marié à une Haïtienne férue d'art populaire congolais, spécialement les peintures du grand Moké de la grande époque, encore plus malin que mes rabatteurs trouve un truc incroyable. Terrain trop grand, maison beaucoup trop grande, au moins 350 m2 avec d'immenses terrasses couvertes, très, trop grande piscine, une maison de plain pied bâtie sur une pente, au sec, dont personne n'avait voulu. Eh oui, ce qui compliquait tout c'est qu'il me fallait une piscine absolument, encore plus important que les clims pour survivre dans ce climat. Mais dans cette maison délaissée, le tout, pas vraiment en mauvais état, maison non entretenue, non meublée, non climatisée, je vais devoir vivre et dormir (douches au milieu de la nuit) durant trois semaines pour la faire remettre un peu en état, avec une piscine immense faite de deux bras de 15 et 17 mètres de long raccordés en croix . . . qui fait ma joie en prévision de ses possibilités d'entraînement (j'ai du parler ailleurs de cette piscine en croix qui a marqué mes espaces imaginaires et réels . . . mais hors d'état de fonctionner comme tout le reste, mais . . .  . . . je ne pouvais hésiter, contraint, j'ai vraiment décidé d'aménager, en négociant le loyer que la propriétaire proposait en fonction non de l'état mais de de l'espace, somptueux mais exorbitant.

Un marchand de meubles me prête des meubles de première nécessité moyennant une caution. J'en fais fabriquer d'autres dans la cité des artisans du bord de route.

Je trouve un réparateur de piscine que je paie d'avance et qui me la remet en route en important des accessoires, des machines introuvables sur place. J'achète au "marché des reventes"  de vieux compresseurs pour une climatisation pas très silencieuses, je trouve un gardien pygmée qui me paraît honnête avec ses yeux dorés et attentifs, son arc et ses flèches, ses sandales qu'il balançait par terre pour monter dans les arbres, car n'oubliez pas, je viens du Brésil où j'ai appris le "jeito" : l'art de ne pas se décourager et d'éviter de rester en carafe.

Bien sûr je déduis du loyer mes réparations et améliorations et malgré, malgré tous ces efforts quand ma moitié rentre de son séjour en "métropole" comme on disait encore, elle me traite de fou. Quant à ma propriétaire qui n'était qu'intermédiaire, elle était carrément très mécontente, carrément furieuse.

Là-dessus, j'obtiens, après un voyage à Paris, encore plus fou, de rester en poste. 

Car je travaillais et me démenais durant tout ce temps évidemment, et malgré le fait que le gouvernement Mitterrand évacue, par principe et pour les remplacer dans les postes du monde entier, tous les diplomates en place parmi les "non de carrière" mais "annexes" (détachés occasionnellement d'autres ministères, ce qui est mon cas, éducation, armée, commerce, car les recruteurs ont plus de choix en y puisant de nouvelles têtes que dans les rangs serrés de l'annuaire diplomatique),  pour terminer ce que j'avais commencé, dont parmi d'autres projets avancés, la mise en place d'une exposition à Paris, j'obtiens une prolongation de mission pour un an. 

C'était déjà un peu dur tout ça mais ce n'était qu'un début.

Quand la piscine s'est fissurée, 

quand j'ai du voyager dans son jet privé avec un gouverneur de région, vrai propriétaire de la maison, pour le convaincre de venir voir sa maison restaurée, tout en lui expliquant ce que nous construisions sur le plan culturel dans l'ancien Katanga, que j'étais le meilleur locataire qu'il pouvait trouver, 

et que le nouvel ambassadeur soit d'abord embarrassé, voire offusqué, par l'idée d'une exposition à Paris des chefs d'oeuvres assemblés sans que personne s'en préoccupe à l'extérieur, au musée national ethnographique de Kinshasa par la passion de toute une vie, celle du, beaucoup trop modeste en ces temps reculés, frère Joseph Aurélien Cornet, 

puis qu'il tente par tous les moyens d'en étouffer le projet puis de la saboter.

Il intervint en haut lieu et même en très haut lieu, s'employa à discréditer toute l'équipe que nous formions, y compris en jouant de son homophobie contre un collaborateur formé à l'ethnologie, cheville ouvrière du projet sur place, mais aussi en se défiant de nos interlocuteurs et correspondants en France, prétextant que le moment était mal choisi pour glorifier le Zaïre, pays du dictateur Mobutu..

Alors que ce que nous cherchions à faire était justement d'en donner une autre image que celle des puissances en guerres pour le cuivre, le cobalt, l'uranium, le tungstène, le diamant, l'or, etc . . . ce qu'avait bien compris François Mathey, notre sauveur qui malgré les obstacles et cabales réussit à accueillir l'exposition rue de Rivoli. Conservateur en chef du musée des Arts décoratifs, explorateur et spécialiste des arts populaires, entre autres combats qu'il a pu mener pour les faire connaître, il imposa son point de vue en présentant une exposition en deux parties, pièces ethnologique mises en scène dans une galerie spécialement constituée en caverne aux trésors et peintres de rue, toujours étonnement lucides et critiques sur la société où ils vivaient, en général, avant d'être lancés par quelques marchands occidentaux, dans la pauvreté.

Mai là c'est une autre histoire, pour plus tard peut-être. Sachez seulement que le Jeito final fut le suivant :

Le Ministre de la Culture zaïrois s'étant réveillé . . . il trouvait - à juste titre - que le pays actuel était peu représenté dans cette exposition par sa culture officielle et prétendait imposer au moins un sculpteur ayant fait ses études en Autriche et revenu au Congo "par patriotisme" dans l'orbite Mobutu.

Difficile de refuser frontalement. Après tout, même si c'étaient les Minastères de la Culture, des Affaires étrangères et de Coopération français qui organisaient le truc de A à Z, l'ex Congo devenu Zaîre était partie prenante de l'exhibition, pour le moins.

Mathey s'y refusaient obstinément. Il est vrai que les sculptures officielles du dit sculpteur reconnu à l'international, de biches bondissantes en portraits en bustes ou tables de verre soutenues par des cornes d'antilope de cuivre bien poli et luisant, sortant des ateliers de fonderie que possédait le maître, n'avaient rien assimilé du patrimoine culturel millénaire de masques, statues, fétiches, du pays , un des plus incroyablement riche et ancien du continent.

>>>>>> La solution qui fut finalement trouvée fut de créer à l'entrée de l'exposition une sorte de vestibule où ne se trouvait que la quincaillerie hyper lourde clinquante et massive du bonhomme, solution qui fut acceptée par toutes les parties en présence.

Quand j'y pense, j'en ris encore.


 




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