De plus en plus me frappe la réapparition flagrante, la manifestation puissante et inattendue de l'irrationalité et face à elle semble-t-il, en véritable face à face, une terrible et fautive i - rrationalité.
Dans cette absurde, avalanche totalement incohérente, poussée loin jusqu'à l'extravagance - / de nature on dirait démente / - d'événements calamiteux, expansion des peuples squelettiques, affamés dés leur naissance dans un monde riche à profusion, boursoufflé et rendu malade par la trop-bouffe ou la mal-bouffe, guerres menaçant les partenaires commerciaux de destruction massive dans un monde de traités de paix échafaudés à grands frais d'ambassades, de colloques, de réunions mondiales, de nations unies, surgissement d'épidémies, d'hécatombes, de fléaux naturels provoqués par notre développement, notre exportation et universalisation du progrès technique, démantèlement et réduction à l'impuissance de toute protection contre une délinquance généralisée et le surgissement de bandes armées organisées . . . . . . explosion de la vente et de l'usage de stupéfiants, etc . . . etc . . . la propension notre, immergés que nous sommes dans l'obscurité, à édifier face à l'insaisissable, l'inconnu, l'imprévisible, les formes monstrueuses que prend parfois le réel, précisément une pré-vision, une capacité d'anticipation permettant ou plutôt supposant nous permettre d'accéder à la maîtrise de ce réel en train de naître, un réel à venir qui a pu, il y a peu encore, être chargé de tous nos espoirs, me semble constituer une autre, une nouvelle irrationalité ou pour mieux dire : une I - RRationalité... [je ne m'y risque pas, mais il faudrait être Dali pour prononcer ce mot connu mais qui, ainsi dit, devient autre].
Comme si le réel n'était que ce petit jardin que nous avons cru discipliner, tailler, semer de nos chimères, réduire à ces perspectives sagement dessinées, à cet art topiaire, géométrie amusante, allées tranquilles, ondulantes bordées de haies, qui nous réjouirait, alors que nous le savons bien il est de fait constitué, ce jardin qui pousse et nous échappe, de plants voués à l'incertain.
Encore ai-je bridé dans cette description l'envie de parler des monstres qui sans doute le hantent.
Il est vrai que ce réel qui pourtant maintes fois a prouvé qu'il ne nous appartient pas plus que l'avenir (ô litote et langue de bois bien pensante, rêve géopolitique, vœux pieux, morale flottante, hésitante et radotante, illusion onusienne !) semblerait presque sinon nous appartenir, du moins dépendre de nous de plus en plus. "Nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature" disait le cavalier divin géomètre. Nous nous sommes tellement immiscés dans son fonctionnement . . . au point peut être d'en arriver à provoquer nos propres maladies, disfonctionnements et dégénérescences, au point de nous apercevoir par exemple et un peu tard que nous étions en train depuis deux siècles de modifier le climat de notre unique socle, nid, niche, minuscule portion d'univers, ce petit territoire sphérique en forme de bille infinitésimale (cependant assez étendu pour nous) qui nous est refuge, notre très chère, très belle, très variée et pourtant très limitée en espace petite planète.
C'est peut-être qu'à la racine de nos erreurs (dites-moi là où ça a foiré, où c'est parti en vrille . . . ?) ne se trouve pas seulement
l'incroyable "demi savoir", fraction infime de savoir mal relié et digéré ou interprété, le plus souvent remplacé par le vide de la parfaite ignorance à laquelle nous sommes voués sur presque toutes les questions, ignorance ou demi-savoir répandus dans presque tout nos ensembles de peuples pourtant "évolués", "civilisés", c'est à dire d'abord nantis d'un confort minimum et scolarisés, foules ayant au moins approché les trésors des recherches traditionnelles ou scientifiques et l'idée d'un monde organisé plus ou moins inspiré de l'idée fort ancienne et inatteignables de démocratie,
. . . sans compter donc sur, sans en parler, puisque nous la tenons pour rien, cette gigantesques masse ayant néanmoins figure humaine, encore tenue à l'écart sur ses (possessif provisoire) territoires convoités par notre astucieuse industrie , groupes relevant au moins partiellement d'une culture dite sauvage, primitive ou première, masse à peine effleurée par cette transmission, poussées aujourd'hui et depuis belle lurette, à gagner les banlieues de mégalopoles où elle est reléguée, réfugiée et attirée, poussée par la faim, dans une acculturation effroyable, pis encore, vouée à l'extinction . . .
sans parler de ces camps où sont réfugiés, exclus de tout accès au minimum vital sans parler de savoir, de culture, de mémoire, de la moindre dignité, les expulsés par nos guerres économiques, partis de chez eux sans bagages . . . mais . . .
se trouve aussi, surtout sans doute, l'illusion elle-même, la confusion, l'erreur fondamentale sur laquelle reposent toutes ces connaissances encyclopédiques et toutes ces pratiques homologuées par la répétition et l'usage, notre orgueilleux savoir porteur de civilisation, de colonisation et d'esclavage . . .
Car . . . sur quoi se fondent les tentatives de compréhension globale ou fragmentaire telles que nous les proposent l'observation, la logique, la réflexion, la science et l'industrie occidentales, stratification énorme et contradictoire des couches de savoir et de techniques que l'Occident d'abord et le monde entier ensuite ont prétendu augmenter et transmettre et imposer à l'univers ?
On peut avoir certains jours envie de balancer par dessus les moulins tout Hegel (Principes de la Philosophie du Droit : "Tout ce qui est rationnel est réel et tout ce qui est réel est rationnel"), et, en remontant plus haut, tout Descartes et tout Spinoza et son "tout est intelligible de part en part", bref toute philosophie fondatrice de la science comme approche ou construction de l'intelligibilité totale et de la la rationalité absolue. propension de ces hommes du passé sur les épaules desquels nous voilà encore aujourd'hui juchés, à s'ériger en substitut de ce Dieu un et infini qu'ils ont eux-mêmes tenté d'approcher ou d'imaginer ou en l'occurrence d'imiter comme image révélée ou construite.
Combien parmi nous et nos prévisionnistes informés, forts de ces atouts, riches de ces garanties accumulées d'avancées en découvertes, gonflés de données calculées, chaque jours précisées, ont pu se prémunir contre et anticiper - pour évoquer un domaine échappant aux limites nationales et les débordant, relevant de la physique, science depuis longtemps la plus avancée - les grands désordres climatiques, pourtant prévus par quelques rares esprits inspirés ? Avons-nous, ont-ils vu qu'ils allaient nous tomber sur l'échine ? S'ils l'ont vu qu'ont-ils fait ?
Encore parmi les surprises de l'i - rrationnalité (forme de folie seconde, ajoutée à notre naturelle folie, au prétexte de la brider) à l'oeuvre, me garderai-je bien d'évoquer les discours officiels nous abreuvant de la vision d'une Europe ayant éliminé la guerre de son territoire, aux frontières agrandies et reformées où l'on devait mieux respirer, ou encore, du droit que s'arrogent maintenant sans limite certains peuples jadis et encore persécutés et massacrés de se transformer, pour prétendre établir leur vie collective en sécurité, en persécuteurs.