mercredi 16 mai 2018

(Il y a) procès et procès

L'équivoque de ce mot m'à toujours fasciné depuis ce temps où je l'avais utilisé dans un travail de recherche qui m'à fait lever et y baigner assidu à 5 heures du mat pendant un temps assez long, moi qui ne suis pas du matin du tout et qui aime si peu me tenir longtemps assis. Mais que ne ferait-on pour arriver à boucler à temps le cycle d'une étude en plongée dans le texte. D'autant que dans ces temps fervents et studieux, pas du toc, une lettre de la main de Roland Barthes, grand  et nouveau pape de la textualité d'alors, que j'avais consulté à propos de cet usage, envoyée et timbrée du Maroc et reçue quand je ne l'attendais plus, m'y avait encouragé fort.

Car même si vous avez vu beaucoup de films américains, avec leur réelle obsession du destin qui bascule et du mode juridique du procès (comme théâtre nouveau de l'action après l'acte criminel), vous ne pourrez imaginer la réelle force, l'absurde équivoque, la contradiction inhérente sur laquelle repose toujours 
le vrai procès au sens de processus de destinée, la totalité de développement d'une vie qui se joue deux fois, en vrai puis dans sa représentation
lors du procès au sens juridique (sens devenu le plus courant dans notre langue au point d'en éclipser le processus qui y conduit).
Le nouvel acte qui en découle et en procède est un verdict.
D'autant plus effrayant qu'il fait apparaître à tout coup, pour y mener, l'inadéquation absolue des analyses et des discours auxquelles la plaidoirie aussi bien que l'accusation ont dû faire appel. Rien de la vérité de la vraie vie du sujet incriminé ne verra ici le jour s'il ne s'agit que de convaincre juges et jurés et d'argumenter en suivant la pente obligée de l'intelligibilité dont on les croit capables, le vraisemblable et lui seulement.

Même si vous avez adoré L'Etranger de Camus, en son temps, comme des millions de gens dans le monde - ce roman si singulier et si peu convainquant pour ce qui est de la logique et du positionnement du héros criminel -  roman maintes fois mis en accusation de préjugé colonial. Sur ce thème notons que Barthes est le plus pertinent des critiques. C'est lui qui en dévoila bien avant tous les autres, à la fois et sans contradiction, les ressorts et en particulier, en filigrane aveuglant, ceux du mythe solaire, structurant en cadran d'horloge antique la dramaturgie du penseur de midi et sa morale sinon entièrement éculée du moins marquée par l'époque encore coloniale.

Car si le procès au sens de mise en jugement, abandon aux instances du tribunal des hommes, n'est qu'un épisode, un précipité, un condensé qui rejoue et essaie de représenter le destin individuel publiquement, il est aussi un fragment décisif du développement, de l'ensemble du cours, du processus plus long qui l'a précédé et le suit, celui d'une existence entière qui de ce coup tranchant du glaive de la justice peut basculer à nouveau. Le procès purement juridique, en ce dernier sens, renvoie d'autant mieux au cycle complet d'une destinée qu'il la réhabilite ou la brise. Mais alors, avant lui, que dire du crime commis qui parfois se joua en quelques fractions de secondes et fut la cause véritable du basculement irréversible ?

C'est pourquoi - certains vont me reprocher ce raccourci et ce retournement - j'ai été sidéré de découvrir,  bien longtemps après ce travail qui occupa un long moment ma jeunesse, ce roman de Laurent Binet La septième forme du langage, où l'on voit le destin et l'oeuvre tronqués de Barthes ramenés à l'envers du long processus et des complexes figures qui le construisent à un polar où son accident final de la rue des Écoles à Paris, fauché par un véhicule . . .

/ rue que j'ai, par ailleurs et pour l'anecdote, périodiquement fréquentée et habitée par le pur hasard d'une amitié qui n'à absolument rien à voir avec l'auteur de l'Empire des Signes /,

. . . est assimilé à un assassinat.

La réponse était là à mes étonnements :
voilà comment annihiler par la dérision, rapetisser fictivement et ramener d'un coup de baguette magique et médiatique à rebours tout le procès du développement d'une pensée qui a agité si longtemps les sciences dites humaines.
Par-delà le procès qu'on a pu faire à la "french theory", aux vedettes du structuralisme made in France, réduire cette histoire humaine à la plus simple et première cause de tout procès, un crime dont la fausse évidence purement narrative, effaçait dans l'imagination du lecteur, toute épaisseur à une vie de recherche (je ne parle pas des miennes, assez courtes, mais de celles de ce groupe de chercheurs).

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