jeudi 14 janvier 2021

Comme il était bon mon petit Français (Como era gostoso o meo Francês).

      Venant d'arriver au merveilleux Brésil, nous avions déjà beaucoup vu de films et lu et rêvé, mais c'était la dictature militaire déjà bien établie et qui allait durer vingt ans, nous avons vu le film qui venait presque de sortir un peu avant (1971) dans une salle du centre ville bondée, impatiente et qui va rire durant toute la projection. Bouffée d'air frais du Cinema Novo dans sa phase "allégorique" chez Nelson Pereira dos Santos son inventeur (mort en 2018), dictature obligeant. Nous renvoyant au souvenir et aux "Singularités de la France Antarctique" (1557), époque de luttes de possession des terres du nouveau monde, à Jean de Léry, à ce cher et si disert André Thévet, à Montaigne qui les a lus et qui s'est aussi donné la peine d'aller voir les sauvages ramenés à Rouen et même d'essayer de leur parler, de les interroger, sans grand résultat il faut le dire, par l'intermédiaire d'un "truchement" qui l'exaspère (1562). Tout cela, et bien d'autres récits, confirmé depuis par les ethnologues et les historiens.

      Le film traduit en français sous le titre "Comme il était bon mon petit Français" est une provocation faite de sensuelle impudeur, de superbe beauté naturelle, d'innocence cannibale. Il  joue sur ce fronton historique, ethnologique, d'une reconstitution pleine de vitalité pour renvoyer ses balles contre l'autrement cruelle horreur du monde actuel. Je me souviens, il nous avait saisis par son évidente et équivoque tendresse. Aimer un petit Français réduit, nu, à l'état de sauvage, devenu, de guerrier conquérant, guerrier prisonnier et conquis, mangeur d'hommes lui aussi, et comme il est aimable, jouir de son désir et de sa peau de "civilisé" déchu et finir, délice suprême, sans une larme, par dévorer, outre un morceau de son bras, le lobe de son oreille, meilleur morceau de l'espèce humaine, une fois convenablement, délicatement rôti, c'est le faire absolument entrer dans le cycle non pas des renaissances mais des cultures, des "civilisations" qu'il vaut le coup, parfois . . .  hors tout propos scientifique, ironiquement sardonique, sinon de "comparer", du moins de mettre en parallèle.

Nous venions de perdre un ami brésilien, musicien, dessinateur très doux, gentil, un peu hippie, qui dans le quartier était aimé, apprécié,  pas vraiment subversif, il avait disparu, un matin on ne l'avait plus revu, à l'époque des "escadrons" chargés d'éliminer sans bruit (pas toujours ils ne craignaient rien), la nuit, clandestinement, inconnus et masqués, les mêmes qui paradaient le jour en uniforme, les supposés opposants qui, par leur simple mode de vie, mettaient en danger l'ordre établi.

Je crois que je n'ai compris réellement au bord de quels précipices j'avais marché que le jour de mon départ quand le directeur local d'Air France me faisant la faveur de mettre en place mon billet pour gagner d'urgence un autre poste où j'étais attendu depuis plusieurs semaines avant que le ministère m'ait envoyé de titre de transport statutaire - car il y avait comme souvent en haut lieu conflit sur les nominations - me fit remarquer que dans mes nouvelles fonctions j'aurais d'autant plus un devoir officiel de réserve, alors qu'en fêtant mon départ avec les autres, un étudiant s'était approché et venait juste de me dévoiler  qu'il avait eu la discrétion, heureuse pour moi, de ne pas parler de mes explications de textes, commentaires et cours, à son père qui avait une belle fonction au ministère de l'intérieur.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire