samedi 9 janvier 2021

(L')Architecte inconnu.

 Vous connaissez mon goût pour les maisons.

J'en ai habité et visité tellement que je m'étonne encore de n'avoir pas réussi, sans doute par excès de mobilité et d'incertitude, en tant d'années, à en faire construire, avec un ami architecte et un autre maçon, une selon mes rêves. Je sais très bien ce qu'elle aurait dû ou pu être. Bâtie sur un terrain avec vue, la mer au loin, cubique et refermée néanmoins sur une galerie avec fontaine jaillissante dans un patio carré. (J'ai eu à occuper très provisoirement des espaces qui s'approchaient de cet idéal, bien que trop traditionnels ou trop marqués par la modernité et sans cette vue mer au loin, indispensable, dans l'ère luso-hispano-latino-mauresque). 

Mais c'était une proposition un peu vague et grandiloquente pour juste y attirer quelques oiseaux.

Pourtant je suis heureux de n'avoir pas été moi-même architecte-bâtisseur, concrétiseur de songes, comme je suis heureux de n'avoir pas été peintre de fresques en anamorphoses  ou classé parmi les psychanalystes néo-lacaniens de la sixième exégèse du maître, voies que j'aurais pu envisager en rêveries éveillées à mes risques et périls, y compris d'y échouer totalement, de ne pas m'y retrouver, de m'y perdre dans l'inachevé, dans le balbutiement encore prometteur mais sans plus, au moment où tout s'est décidé si vite et sans aucun regret rétrospectivement, vers mes seize ou dix-sept ans et bientôt confirmé.

Psychanalyste patenté, encore eut-il fallu à cette époque-là être d'abord médecin et psychiatre, ce qui était au-dessus de mes forces vu mon goût relatif pour la biologie in vivo et mon premier rapport au peuple des vrais fous en stage accompli comme étudiant en HP, j'aurais, au bout du tunnel, véhiculé et projeté comme tant d'autres mes propres incroyables aliénations et acrobatiques déséquilibres sans pour autant être utile forcément aux autres, imposant sans doute avec l'autorité du sachant ou croyant savoir, doublé de l'expérience acquise sur des cas accumulés par centaines, mes dérangements partiels et propres délires désentravés.

Peintre, je n'aurais pas su atteindre à la force et à ce point où arrivent sur une surface toute plane trouée de pâte, d'aplats, de traits, de touches et parfois de simples éclats de lumière et rainures ou rayures, ceux qui nous contraignent ou nous invitent, après eux, dans leur fenêtre tendue, redressée, à voir le monde autrement.   

Je suis également heureux de n'avoir pas été architecte.

Parce que je trouve qu'il existe déjà suffisamment de constructions anciennes, harmonieuses ou audacieuses, occupant la terre, éventuellement à réhabiliter. D'autant que les réalisations contemporaines sont souvent indignes de boucher encore plus notre espace; sont ou platement orthogonales sans charme, suivant des modes de fabrication à la fois archaïques et stéréotypés, guidés par l'économie et la rapidité, profitant d'une main d'oeuvre sans qualification quand il s'agit de l'extension des villes et villages planifiée pour être livrée a des particuliers ou sont, quand les moyens peuvent être mis à disposition du concepteur, par exemple dans les bâtiments publics, à la fois ostentatoires et faussement fonctionnels, sans souci réel de l'environnement naturel ou urbain. Sans souci de leur probable et extrême pérennité dans le paysage.

C'est vrai, je vois trop le désastre du fer à béton hérissant nos campagnes.

Je n'ai donc contribué, ni indirectement, ni pour moi ni pour la collectivité, même au travers d'achats ou d'implantations immobilières rénovées ou à peine transformées ici ou là, à enkyster des verrues dans le panorama qui nous entoure, n'ayant finalement essentiellement participé, culturellement, ou surtout indirectement contribué, dans mon travail, qu'à la naissance d'oeuvres éphémères.

En revanche, je porte beaucoup d'attention à ces édifices dont on a le plus souvent (bien que leur intérêt soit en train de réapparaître) oublié l'architecte. Par exemple, ceux bâtis dans les périodes transitoires où l'art ingénieux des grandes fabriques pouvait encore être glorifié sous sa forme naissante et porteuse d'utopies, années d'euphorie art déco ou modernistes créatives, recherchés dans le moindre détail de structure, d'orientation, de matériau et d'ornement, qui s'intègrent à un quartier ou au contraire en sont la perle rare, jusque dans de petites cités aujourd'hui désindustrialisées.

Et puis comme je ne suis et ne veux en rien passer pour "philosophe" patenté ou non ( il est certain qu'en aucun cas ne peut l'être celui qui se fait ou laisse désigner ainsi) mais bien plutôt, tant que ça reste un luxe accessible, voudrais simplement tenter d'ausculter ce créneau délicat où ne saurait s'attarder le regard (cette brèche du mur qu'il faut distinguer au travers des surfaces enduites et lissées) . . . . . . mettre mon œil dans ces enfilades et alignements qui n'apparaissent qu'en certaines conjonctions . . . . . . .  j'appelle, serait-ce tout autre chose ? pas vraiment peut-être, si l'homme va jusqu'à se prendre pour un dieu avec majuscule qui s'est incarné en tant qu'homme . . .  Architecte inconnu (il pourrait nous rendre bien modestes en tant que bâtisseurs, s'il existe, si on en émet l'hypothèse, s'il est en définitive ou pas  inclus et emprisonné dans la matière, sa structure, sa forme, sa teneur, ordre et arrangement enfoui) cette intelligence parfaitement cohérente cachée au creux du monde visible et invisible, à peine apparente sous les couches accumulées, et toujours apparemment mathématique, même si aucune formule connue n'en rend compte parfaitement, parfois d'allure poétique (on se demandera toujours si c'est par construction antérieure, intentionnelle, ou par simple projection de nos critères esthétiques du moment que nous la percevons comme telle, modifiant chaque jour notre approche) ou indisciplinée, désordonnée, vitale, adaptative et biologique et quelquefois facétieuse (en décèlerions-nous surtout les coincidences peu probables, étonnantes, qui nous rappellent nos hésitations et explorations ?) qui sous-tend  le monde tel qu'il nous apparaît, y compris dans les compartiments et les extensions, fruit de l'histoire et des délires du plus étrange bipède bâtisseur.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire