dimanche 3 janvier 2021

Petite Maison.

 C'était sur l'avenue qui n'avait pas changé de nom, une toute petite maison grise au toit à double pente formant accent circonflexe en façade entre deux bâtiments plus hauts aux enduits repeints de blanc. Ma mère et ma grand-mère, veuve de guerre, avaient vécu là avec ma future tante et mon oncle futur encore enfants. Quand je passais, rarement, et depuis mon départ de cette ville, encore beaucoup plus rarement, devant cette maison, j'évoquais chaque fois dans ma tête le jeune fils apprenti menuisier amené à travailler très jeune, en partie à son compte, suivant les traces de son père mort (il réalisa dans cette période pas mal de meubles à décor sculpté restés longtemps dans le patrimoine de la famille) et les deux sœurs aux parcours dissemblables. L'une devait devenir, avec son nez pointu et sa vivacité primesautière, couturière et l'autre, ma future mère, avec ses grands yeux et son écriture dessinée et appliquée, bonne élève, boursière puis normalienne, allait pouvoir être assise un temps sur le même banc que Georges Pompidou, qui donc un temps très court, peut-être parce que son père à lui était professeur dans cette école de jeunes filles, y avait suivi, exceptionnellement, un temps de transition et déménagements, quelques cours. Elle ne manquerait pas, plus tard, quand celui-ci fut devenu Président de la République de lui écrire un mot.

Ma grand-mère qui avait été cuisinière dans de bonnes et même très bonnes familles locales, continuait à coudre, quelquefois pour les autres et élevait sa couvée avec une autorité matriarcale. Mais ce que j'aurais aimé imaginer, alors que j'imaginais facilement l'odeur des soupes, macaronis au gratin et choux farcis de ma grand mère, elle mettait beaucoup de talent et de saveur au moindre plat, c'était le petit atelier de menuiserie de mon futur oncle, derrière la maison qui appartenait depuis longtemps à des inconnus et où je ne suis jamais entré, avec cette odeur de bois si particulière et bonne, moi qui étais si maladroit dans ces travaux manuels qu'on nous imposait les premières années du Lycée.

J'y suis repassé il y a peu, étonnement, elle est toujours grise et là, témoignant, à mes yeux au moins, beaucoup mieux qu'un marbre de tombe.

Mais le plus étonnant dans tout ça, ces souvenirs qui remontent en bulles, accrochés ou pas à des images rétiniennes ou photographiques, réellement vues ou transmises en minces pellicules et papiers jaunis, et ceci n'a aucun rapport, c'est que quelqu'un (sur bonobo.net) que je connais (c'est beaucoup dire, je ne le connais que très peu) à Angoulême, au même moment ou presque, était en train de parler lui aussi de la "petite maison" qu'occupait sa grand-mère après une autre guerre, la suivante. 

La cartographie de ces réminiscences sans plus de lien que les monades de Leibnitz, isolées et reliées par une étrange et exacte concomitance, serait difficile à établir, en épaisseur spatio-temporelle et plus si échanges numériques.

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