vendredi 29 janvier 2021

Congelado.

Lors du début de ma longue fréquentation des théâtres au Pérou, dans les années 80, c'était un truc scénique qui risquait d'ailleurs de devenir un tic et une calamité. Astuce visuelle empruntée au cinéma et parfois soulignée par la musique, utilisée au théâtre par les jeunes metteurs en scène qui l'avaient peut-être apprise dans d'autres pays : l'acteur principal du moment, celui qui était en train de parler s'arrêtait tout à coup, figé dans la position, le geste, la mimique où le congelado (littéralement le "congelé")  . . .

 pris ici au sens plus verbe et action que nom, résultat qui n'aurait été que atteint et maintenu, de cette "action de congeler" 

. . . l'avait saisi

N'étant pas encore accoutumé à ce jeu un peu syncopé, emprunté à et retrouvant diverses traditions venues du monde entier - le Pérou est séparé de l'Occident par la barrière des Andes et en revanche très tourné, y compris par une immigration orientale importante, vers l'Asie, Chine et Japon en particulier - j'y ai ressenti le vif plaisir de la découverte. D'autant que très lié à une troupe théâtrale qui l'utilisait dans quelques uns de ses spectacles, j'avais vu évoluer ce jeu, de répétition en répétition, vers une sorte de perfection. Aussi artificiel soit-il en apparence, s'il était bien intégré au scénario et bien coulé dans la gestuelle de l'actrice ou de l'acteur, il indiquait un moment de saisissement, de retournement, de bascule, soit en fin de compte cette rituelle, magique, cérémonielle essence même du théâtre qui donne à entendre et à voir le drame de nos vies.

Maintenant, vu de loin, avec le recul des années et des situations, je pense à ça en pensant à nous en ce début de 2021.

Nous sommes, me semble-t-il dans un moment de "congelado".

Abasourdis, figés, dans l'expectative et paralysés par ce qui advient.

Attendant un miracle de la science, même ceux qui hier, matamores de rodomontades fanfaronnaient, attendant une mise en route d'un système de protection efficace, attendant les décisions officielles qui régentent et fixent un peu arbitrairement nos comportements, actes, mouvements, modes de vie, gestes, attitudes, positions dans l'espace, mimiques, expressions, obsessions, le tout suspendu et différé.

Vers quoi allons-nous nous remettre en route, basculer, souffrir, regarder, espérer, disparaitre, nous réformer, muter ou mourir ? Nul ne le sait. 

Moment de congelé . . . ce serait presque le moment de confondre comme beaucoup le font aujourd'hui l'infinitif et le participe, moment de congeler.

Effrayant moment d'un flash mob mondial au moment exceptionnel et collectif d'un suspendu, bloqué, figé.

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